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    Alain Robbe-Grillet, celui que l’on appelait le Pape du Nouveau Roman, nous a quittés le lundi 18 février 2008.
    Cet écrivain, qui fut un monument de lucidité et d'intelligence, avait compris l'essentiel… à savoir qu'un véritable écrivain se sert avant tout des mots et considère donc l’écriture comme son matériau essentiel. Cet article, offrant une synthèse des conceptions romanesques liées au Nouveau Roman, est ma façon personnelle de lui rendre hommage, car cet homme brillant a révolutionné mes conceptions littéraires et m'a rajeuni l'esprit d'année en année même si je ne souscris pas à la totalité de son oeuvre. Lisez « Le Voyeur » ou « La maison de rendez-vous » ou plus récemment « La reprise »... vous comprendrez alors que là se trouve la révolution essentielle de la littérature. Merci aussi au remarquable hommage de Benoît Peeters, grand connaisseur de Robbe-Grillet, découvert dans Le soir (journal belge) du mardi 19 février 2008. Je souscris entièrement à cette réflexion pleine d'humanité d'un homme qui a eu le privilège de rencontrer ce très grand écrivain, à la fois adulé et critiqué, dont on parle souvent sans même avoir lu plusieurs de ses romans essentiels ! Merci Alain Robbe-Grillet ! Vous continuez à m'accompagner...


    A) LES CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DU NOUVEAU ROMAN


    Le début du Nouveau Roman date de 1953 environ (les Gommes d’Alain Robbe-Grillet et Marterau de Nathalie Sarraute). L’expression « Nouveau Roman » est apparue la première fois dans un article (paru en 1957) d’Émile Henriot.
    Le Nouveau Roman comprend quatre chefs de file : Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, Nathalie Sarraute et Claude Simon. À ce noyau de base l’on peut ajouter d’autres écrivains comme Robert Pinget, Claude Ollier, etc.
    Leurs romans paraissent aux Éditions de Minuit (couverture blanche à étoile bleue) dont l’éditeur, Jérôme Lindon, homme courageux, a accepté de les publier. Étant donné que les Nouveaux Romanciers furent publiés chez le même éditeur, on a voulu les classer dans un mouvement. En fait il n’y a jamais eu d’école littéraire et de mouvement officiel : le terme de Nouveau Roman met simplement l’accent sur la volonté de renouvellement qui est apparue chez plusieurs écrivains à partir des années 1950.
    La théorie du Nouveau Roman a été formulée par les nouveaux romanciers eux-mêmes (« L’ère du soupcon » de Nathalie Sarraute, « Pour un Nouveau Roman » de Robbe-Grillet, « Répertoires » de Butor).
    Ces écrivains étaient encouragés par Alain Robbe-Grillet qui poussait chacun d’entre eux à produire le meilleur de lui-même. Le but n’était donc pas de créer une pensée unique ou un idéal communautaire. Le Nouveau Roman est donc un ensemble de singularités rassemblées dans le désir de produire quelque chose de différent sur le plan littéraire.


    Les principales thèses du Nouveau Roman sont les suivantes :

    1) Mort du héros de roman

    Les Nouveaux Romanciers refusent le personnage traditionnel riche ou pauvre, ayant son caractère propre, appartenant à une classe sociale déterminée, etc. Chez les Nouveaux Romanciers nous ne rencontrons plus de personnage individualisé. Ces romanciers refusent de faire un analyse approfondie du personnage comme le fait le romancier traditionnel en démontant le mécanisme de la conscience de son personnage. Les noms propres ne sont, la plupart du temps, que de simples supports (dans certains Nouveaux Romans les noms des personnages sont même remplacés par de simples initiales).


    2) Abolition de l’intrigue classique

    Les Nouveaux Romanciers ne veulent plus raconter une suite d’événements ordonnés selon certaines conventions traditionnelles. Ils ne veulent plus construire une histoire dont les épisodes se succèdent avec cohérence. Bien entendu le nouveau romancier présente encore des événements, mais ceux-ci ne sont plus groupés dans un enchaînement temporel traditionnel : les Nouveaux Romanciers refusent donc l’ordre strict de la chronologie linéaire traditionnelle. D’une certaine façon on peut dire que le désordre instauré par les Nouveaux Romanciers reproduit le désordre de notre vie : ces écrivains refusent de répondre aux questions de l’homme qui, il faut le dire, est semble parfois un peu perdu dans la vie actuelle ou n’obtient pas toujours les réponses aux nombreuses questions qu’il se pose !


    3) Refus de la littérature engagée

    Les Nouveaux Romanciers ne veulent rien expliquer, rien démontrer (en cela ils s’opposent par exemple à Sartre qui est un des meilleurs représentants de la littérature engagée). Pas question donc pour eux d’écrire une œuvre qui aurait pour but de défendre une cause sociale ou politique.


    4) Les Nouveaux Romanciers veulent lutter contre une aliénation des hommes de notre temps.

    Il s’agit en fait d’une aliénation littéraire : nous sommes, selon eux, trop dépendants d’un certain type de littérature (littérature traditionnelle). Ils veulent donc montrer aux lecteurs que le roman peut échapper aux conventions romanesques du 19e siècle. En contestant les fondements du roman bourgeois, ils veulent rendre les lecteurs actuels disponibles pour d’autres romans.

    Pour ne donner qu’un exemple nous remarquons que les Nouveaux Romanciers accordent une grande importance à l’objet (l’individu tend à s’effacer au profit de l’objet) :

    • Dans le roman traditionnel l’objet était pris pour sa signification :

    - une chaise inoccupée signifiait l’attente, l’absence, le repos,… (ces trois dernières significations étaient données par le romancier traditionnel qui pouvait écrire par exemple :
    « Madame X, fatiguée, alla s’asseoir dans le fauteuil de son salon »).

    - La main sur l’épaule était un geste d’amitié par exemple. On pouvait lire :
    « Par amitié, il mit sa main sur l’épaule de Paul ».

    • Dans le Nouveau Roman : on voit la chaise, la main, mais la signification de ces objets n’accapare plus notre attention. On est dans un monde neutre dont la signification n’est pas donnée par le romancier. C’est donc le lecteur qui peut voir dans tel geste ou tel objet telle ou telle signification.

    Le Nouveau Roman bouleverse donc le rapport du lecteur au livre : la confiance passive du lecteur est détruite au profit d’une attitude critique (le lecteur participe à la création : en lisant un Nouveau Roman le lecteur crée son propre livre !).



    B) QUELQUES NOTIONS CAPITALES DU NOUVEAU ROMAN

    Remarque : ces notions sont formulées en grande partie par Alain Robbe-Grillet et notamment dans son remarquable essai « Pour un nouveau roman ».


    1) Le Nouveau refuse certaines notions traditionnelles


    • Refus du personnage traditionnel

    Le Nouveau Roman refuse la notion de personnage traditionnel qui a un nom propre, des parents, une profession, des biens, un caractère et un physique particuliers. Si un tel personnage aux contours bien définis est refusé dans le Nouveau Roman, c’est sans doute lié à notre époque où l’anonymat et l’incertitude règnent en maître.

    Ce type de personnage au caractère bien défini est absent dans plusieurs œuvres contemporaines (« La Nausée » de Sartre, « L’étranger » de Camus, « Voyage au bout de la nuit » de Céline). On y trouve des personnages incertains voire peu sûrs d’eux-mêmes.


    • Refus de l’intrigue classique

    Le Nouveau Roman nous signifie que l’histoire d’un récit ne doit pas jouer le premier rôle.
    Un roman n’a en effet pas pour but d’évoquer des actions palpitantes en donnant l’illusion du réel ! Un roman est l’aventure d’une écriture et non l’écriture d’une aventure pour employer l’expression de Ricardou. L’écriture est donc un but et non un moyen.

    Malheureusement, selon Robbe-Grillet, de nombreux critiques, partisans du roman traditionnel, ne font que rarement référence à l’écriture d’un roman et préfèrent faire allusion à la fiction du livre. Un livre sera souvent jugé bon s’il évoque une histoire captivante ou émouvante : celle-ci, aux yeux de cette même critique, doit donner l’illusion du réel (le romancier traditionnel donne l’illusion au lecteur que les aventures des personnages sont réelles, fait ressembler son récit à l’idée toute faite que les gens ont de la réalité). La littérature traditionnelle doit à la fois distraire et rassurer le lecteur qui y découvrira ses repères habituels. Or, pour Robbe-Grillet, le véritable romancier ne doit pas reproduire des modèles : il fait continuellement appel à l’invention et à l’imagination.

    Le récit traditionnel représente un ordre lié à un système stable, cohérent, univoque, cohérent et que l’on peut facilement déchiffrer. Pour Robbe-Grillet, c’est la création balzacienne qui symbolise au mieux ce type de littérature très rassurant pour le lecteur. Le monde balzacien est trop bien ordonné pour être vrai ! La cohérence présentée par Balzac n’existe pas : Robbe-Grillet souhaite donc décrire un réel qui est, en fait, contraire au réalisme balzacien où tout s’explique. Les techniques sécurisantes étaient notamment l’emploi systématique du passé simple, l’utilisation de la troisième personne, le déroulement chronologique des faits (alors que notre mémoire n’est jamais chronologique !), l’utilisation d’une intrigue linéaire entre un début et une fin où tous les problèmes, qu’ils soient résolus ou non, sont clarifiés.

    Avec Flaubert, Proust, Faulkner, Beckett les choses, pour Robbe-Grillet, ont commencé à changer. Mais il ne faut pas croire qu’on ne raconte plus rien dans les romans modernes. De même qu’il ne faut pas croire que l’homme a disparu sous prétexte que le personnage traditionnel a disparu. On trouve, en effet, dans roman moderne, des événements, des passions, des aventures... mais le traitement est différent (événements reconstruits à travers le souvenir chez Proust, chronologie bouleversée chez Faulkner, événements qui se contestent chez Beckett, etc.).


    • Refus de la notion d’engagement

    Certains romanciers ont raconté pour enseigner. Ils sont les représentants d’une littérature engagée qui inventent une histoire pour prouver quelque chose ou défendre une cause politique, sociale, etc. Cette littérature engagée souhaite donc associer l’art et la révolution.

    Or, selon Robbe-Grillet le véritable artiste ne peut considérer l’art comme un moyen au service d’une cause qui le dépasserait. L’artiste ne peut rien mettre au-dessus de son travail. Il ne peut créer que pour rien. L’art et la société posent des problèmes qui ne peuvent être résolus de la même manière. L’art est gratuit et ne peut donc être enrôlé au service d’une cause.


    • Refus de la distinction classique entre la forme et le contenu

    Alain Robbe-Grillet récuse cette opposition scolaire ancienne entre la forme (l’écriture) et le fond (contenu). Car elle permet aux critiques traditionnels de dire que c’est l’histoire qui est l’élément le plus important dans un roman et que le grand romancier est celui qui est capable de développer une signification profonde au-delà de l’anecdote. Cette distinction leur permet de dire également que les romans modernes sont trop formalistes, qu’ils s’intéressent trop à la forme aux dépens de l’histoire et de sa signification.

    Ces critiques, en espérant une littérature humaine profonde ou une littérature au service d’une cause (littérature engagée), réduisent le roman à une signification qui est sans rapport avec lui : le roman ne peut être considéré comme un moyen pour atteindre une valeur qui le dépasse. Pour Alain Robbe-Grillet l’art est tout : il se suffit par conséquent à lui-même et il n’y a rien au-delà. L’oeuvre d’art (roman, peinture, symphonie ) est : elle n’a pas besoin de justification.

    En fait, pour Robbe-Grillet, c’est dans la forme du roman que réside sa réalité (pas dans quelque chose qui lui serait extérieur). C’est aussi dans sa forme que réside son sens, sa signification profonde, son contenu. Un écrivain qui veut écrire un roman est d’abord préoccupé par l’écriture (comme un peintre a en tête des lignes et des couleurs). Ce qui se passera dans le livre vient après, engendré par l’écriture elle-même : le travail textuel peut produire de la fiction et même modifier celle-ci. L’écrivain Claude Simon avait d’ailleurs déjà exprimé cette idée à maintes reprises. C’est cette forme qui constitue le monde particulier de l’écrivain et qui frappera le lecteur (si, dans « L’étranger » de Camus, l’on change le temps des verbes et remplace la première personne du passé composé par la troisième personne du passé simple, tout l’univers de Camus disparaît aussitôt).

    On ne peut donc parler du roman comme d’une chose indépendante de sa forme. L’art n’a pas pour but d’ornementer le message de l’auteur. Il n’exprime rien que lui-même. Il est donc ridicule de dire : « Cet écrivain a quelque chose à dire et il le dit bien ». L’écrivain véritable n’a pas quelque chose à dire : il a seulement une manière de dire. C’est cette manière de dire qui constitue son projet d’écrivain. Il doit créer un monde, mais c’est à partir de rien. L’aliénation de la littérature (l’aliénation est un état de dépendance) dans le monde moderne est de croire que l’écrivain a un message à transmettre.


    2) Ne pas confondre le monde et l’homme

    Le romancier traditionnel dira : « Le monde c’est l’homme ». Alain Robbe-Grillet dira : « Les choses sont les choses et l’homme n’est que l’homme ». Le reproche (tendance humaniste) qu’on lui adressera, c’est de se détourner de l’homme. Robbe-Grillet rétorquera en affirmant que le roman moderne met en scène un homme, ne décrit que ce qu’il fait, ce qu’il voit ou ce qu’il imagine : il ne peut donc être accusé de se détourner de l’homme.

    Le roman traditionnel veut avant tout établir des ressemblances entre l’homme et les choses. Ainsi, par exemple, il abuse des métaphores : parler d’un « soleil impitoyable » , c’est croire que la chaleur du soleil est le résultat d’une volonté ; parler d’un village « blotti » au creux d’un vallon me fait croire que je deviens un village aspirant à disparaître au creux d’une cavité. Le monde, pour ces romanciers traditionnels, est donc à l’image de mes aspirations. On peut aller encore plus loin en parlant par exemple de la « tristesse d’un paysage » : j’oublie ainsi, en créant une nature humaine, que c’est moi seul qui éprouve la tristesse !

    Pour Robbe-Grillet il est indispensable de poser les objets comme purement extérieurs et superficiels. L’homme regarde le monde et le monde ne lui rend pas son regard. Ce n’est pas pour cela qu’il n’entre pas en contact avec le monde : il peut par exemple se servir d’un marteau qui n’est qu’un ustensile sans profondeur (il n’est que forme, matière et destination). Ce marteau, hors de son usage (le marteau n’est qu’un ustensile), n’a pas de signification.

    Décrire les choses, c’est se placer à l’extérieur, en face de celles-ci. Elles doivent être posées au départ comme n’étant pas l’homme. Il ne peut donc y avoir de sympathie de l’homme avec les choses. Alain Robbe-Grillet écrira : « la boîte de mon encrier est un parallélépipède » : il enregistrera les distances entre l’objet et moi ou les distances (mesures) de l’objet : c’est donc un refus de toute complicité entre l’homme et les choses. Il s’agit de mettre en évidence le regard appliqué essentiellement aux contours de l’objet.


    3) Le Nouveau Roman : une nouvelle façon d’aborder l’homme

    Le Nouveau Roman n’est pas une école littéraire (il n’a codifié aucune loi) : il regroupe des écrivains qui luttent contre des lois trop rigides (assimilées à des formes périmées), qui ne veulent pas d’un roman qui ressemblerait à ce qu’il était hier. Il faut savoir également que l’on trouve des différences importantes entre les écrivains du Nouveau Roman et même entre les Nouveaux Romans de chaque Nouveau Romancier.

    Le Nouveau Roman ne fait que poursuivre un évolution constante du genre romanesque. Après Balzac l’évolution a commencé : Flaubert (chez qui l’on trouve une variation des points de vue), Stendhal (le narrateur de la Chartreuse de Parme ne comprend rien à ce qui se passe lors de la scène de la bataille), Kafka, Joyce, Faulkner, Proust, Beckett, Camus (avec « L’Étranger »), Sartre (avec « La nausée ») s’inscrivent différemment dans la modernité. Le narrateur chez ces derniers écrivains apparaît déjà comme incompétent (c’est le narrateur idiot que l’on trouve chez Faulkner) et le monde qu’ils offrent au lecteur est souvent incohérent. On perçoit déjà la position inconfortable du romancier qui peut être comparée à celle d’un aveugle devant un monde qu’il ne perçoit pas ou qui perçoit des éléments qui ne peuvent que le choquer : on est très éloigné du confort balzacien qui domine les choses avec son hélicoptère voulant donner, au lecteur, l’impression de le maîtriser !

    Le Nouveau Roman continue cette évolution : il ne fait donc pas table rase du passé ! Contrairement à ce que certains critiques ont pu penser, Alain Robbe-Grillet, malgré sa très haute estime de lui-même, ne se pose donc pas comme une nouvelle vérité souhaitant se substituer au roman traditionnel.

    Quoi que certains critiques aient pu penser, le Nouveau Roman s’intéresse à l’homme. Robbe-Grillet écrit : « Même si l’on y trouve beaucoup d’objets, et décrits avec minutie, il y a toujours et d’abord le regard qui les voit, la pensée qui les revoit, la passion qui les déforme ». L’objet est à prendre ici dans un sens particulier (les choses) et général (tout ce qui affecte les sens et tout ce qui occupe l’esprit) : les meubles de la chambre, les paroles que j’entends, un geste de la femme que j’aime, le souvenir par quoi je retourne aux objets du passé, le projet qui me transporte dans des objets futurs, l’imagination, etc.

    Certains ont reproché au Nouveau Roman une objectivité froide. Pourtant, dit Robbe-Grillet, dans le Nouveau Roman c’est un homme qui décrit toute chose, « mais c’est le moins neutre, le moins impartial des hommes » : il est toujours engagé dans une aventure passionnelle au point de déformer souvent sa vision et de produire parfois une imagination proche du délire. Chez Balzac, le narrateur, omniscient et présent partout à la fois, est plus objectif que dans les romans de Robbe-Grillet : il ne peut être qu’un Dieu, car Dieu seul peut prétendre être objectif. Tandis que dans le Nouveau Roman c’est un homme qui voit, qui sent, qui imagine : le livre ne rapporte rien d’autre que son expérience limitée.

    Les objets balzaciens étaient rassurants : ils appartenaient à un monde dont l’homme était le maître. Les objets étaient des biens qu’il fallait posséder, conserver, acquérir. Il y avait une identité entre l’objet et son propriétaire ( le gilet, par exemple, représentait un caractère et une position sociale).

    Alors que le roman traditionnel semble détenir une vérité, le roman moderne fait découvrir le règne du discontinu : les significations du monde ne sont plus que partielles, provisoires, contradictoires. Le roman moderne est une recherche qui crée elle-même ses propres significations. L’artiste contemporain ne peut savoir si la réalité a un sens. Ce sont les formes qu’il crée qui peuvent apporter des significations au monde.

    Sur le plan de la lecture, Alain Robbe-Grillet souligne qu’il n’y a pas de vérité du texte, que chaque lecture nouvelle d’un récit mérite un nouveau texte. Il n’y a pas une bonne lecture d’un livre : il y a des bonnes lectures. Le lecteur a le droit de recréer un livre. Cette approche de la lecture est à mettre en rapport, bien évidemment, avec la réflexion de Roland Barthes.


    4) La description et le temps dans le récit moderne

    Dans le roman traditionnel (Balzac par exemple) on trouve de nombreuses descriptions : descriptions dont le but est de faire voir (il fallait planter un décor, définir le cadre de l’action, présenter l’apparence physique des personnages, etc.). Ces descriptions constituent un univers stable et sûr qui, par sa ressemblance avec le monde réel, garantit l’authenticité des événements, des paroles, des gestes qui surviennent dans ce cadre. Ce type de description ne peut que convaincre de l’existence objective d’un monde que le romancier paraît seulement reproduire comme si l’on avait affaire à un document. Le décor, dans le roman traditionnel, est à l’image de l’homme : chacun des objets représentait un double du personnage. Le lecteur pressé de connaître l’histoire peut même sauter les descriptions qui ne constituent que le cadre d’un tableau.

    Dans le Nouveau Roman il est impossible de passer les descriptions qui constituent un des tableaux essentiels du livre. À la limite l’on pourrait dire que ces descriptions constituent la fiction partielle de chaque Nouveau Roman. Sauter les descriptions du Nouveau reviendrait à ne plus rien comprendre aux aspects fictionnels du récit !

    Le Nouveau Roman décrit des objets insignifiants ( le roman traditionnel insistait sur des éléments révélateurs). Le Nouveau Roman affirme la fonction créatrice de la description (le roman traditionnel prétend reproduire une réalité préexistante). Le Nouveau Roman semble vouloir détruire les choses à force d’en parler (le roman traditionnel fait voir les choses).

    Le temps est un personnage capital de plusieurs romans contemporains (retours dans le passé, ruptures de chronologie...). Mais de nombreux romans modernes et en particulier le Nouveau Roman vont parfois encore plus loin. Chez ces derniers il est difficile, voire impossible, de reconstituer la chronologie (naissance, croissance, paroxysme, déclin, chute) : le temps ne coule plus. Il n’accomplit plus rien (dans le roman traditionnel il comblait une attente : il permettait, par exemple à un homme de s’élever dans la société). Dans le roman moderne « l’espace détruit le temps et le temps sabote l’espace ». La description piétine, se contredit, tourne en rond. L’instant nie la continuité. Le temps semble figé dans un présent sans passé. Bref nos repères chronologiques traditionnels disparaissent. Le lecteur est donc invité à un nouveau mode de participation.

    Robbe-Grillet écrit, à ce propos, cette phrase superbe :
    « L’auteur aujourd’hui proclame l’absolu besoin qu’il a du concours du lecteur... un concours actif, conscient, créateur. Ce qu’il lui demande, ce n’est plus de recevoir tout fait un monde achevé, plein, clos sur lui-même, c’est au contraire de participer à une création, d’inventer à son tour l’oeuvre — et le monde— et d’apprendre ainsi à inventer sa propre vie ».


    5) L’écriture est la réalité

    Pour Robbe-Grillet, l’écriture romanesque ne doit pas viser pas à copier la réalité comme dans le roman traditionnel : elle constitue la réalité. Elle ne sait jamais ce qu’elle cherche, elle ignore ce qu’elle a à dire : elle est invention du monde et de l’homme. Pour illustrer ceci, Robbe-Grillet raconte que les mouettes qu’il voyait en Bretagne avaient des rapports confus avec celles qu’il était en train de décrire dans le Voyeur. Cela lui était égal, car les seules mouettes qui lui importaient étaient celles qui se trouvaient dans sa tête. Celles-ci s’étaient transformées pendant la description, devenaient plus réelles, parce qu’elles étaient maintenant imaginaires. Le vraisemblable ne peut donc plus servir de critère. C’est le faux (le possible, l’impossible, l’hypothèse, le mensonge...) qui est devenu un thème important dans le roman moderne.

    Un nouveau narrateur est né : ce n’est plus seulement un homme qui décrit les choses qu’il voit. C’est aussi celui qui invente les choses et qui voit les choses qu’il invente. Voilà le réalisme nouveau. On ne cherche plus le petit détail qui fait vrai. À la limite le romancier moderne cherche le petit détail qui fait faux : tout ce qui manque de naturel, tout ce qui sonne un peu faux. Comme Kafka qui décrit une pierre abandonnée sans qu’on sache pourquoi au milieu de la rue ou le geste bizarre d’un passant qui ne paraît répondre à aucune fonction précise. Le roman moderne peut donc s’intéresser à des objets partiels ou détachés de leur usage, à des instants immobilisés, à des paroles séparées de leur contexte, à des conversations entremêlées... Ce qu’il y a derrière (si des significations symboliques existent) est sans valeur face à l’évidence des objets, des gestes et des paroles.


    « Ce que propose l’art d’aujourd’hui au lecteur, au spectateur, c’est en tout cas une façon de vivre, dans le monde présent, et de participer à la création permanente du monde de demain. Pour y parvenir le nouveau roman demande seulement au public d’avoir confiance encore dans le pouvoir de la littérature, et il demande au romancier de n’avoir plus honte d’en faire. » (Robbe-Grillet)

    Et si, comme le souligne Robbe-Grillet, l’on pouvait chercher les nouvelles beautés qui éclairent l’art moderne plutôt que de toujours pleurer les anciennes couleurs...



  • Boris Vian
    L’article qui suit a pour but de révéler les grandes différences entre le roman traditionnel et le roman nouveau.
    Quant au Nouveau Roman (une catégorie du roman nouveau), il sera abordé ultérieurement.

    A) Et le Nouveau Roman ?

    Le Nouveau Roman, dont je parlerai d’une manière approfondie dans un futur article, peut être considéré comme une branche du roman nouveau qui comprend de nombreuses catégories.


    B) Les différences très générales entre le roman traditionnel et le roman nouveau

    Globalement l’on distingue le roman traditionnel et le roman nouveau.

    Le roman traditionnel vise à donner l’illusion du réel, à nous faire croire que ce qu’il raconte est vrai ! Le roman traditionnel offre une véritable stratégie dans la mesure où, d’une manière explicite, son auteur vise une certaine conformité avec le réel. Le roman traditionnel utilise des procédés narratifs traditionnels qui concourent à donner l’impression du vrai. Tout est fait pour vraisemblabiliser les choses. L’écriture n’est qu’un moyen pour arriver au but essentiel qui est de donner l’illusion du réel. En général le récit est linéaire : tout s’oriente vers une fin où tous les problèmes sont résolus ou non.

    Le roman nouveau, quant à lui, détruit souvent l’illusion du réel. L’écriture est pour lui un but essentiel.
    En général le roman nouveau n’est pas nécessairement linéaire (on peut y trouver de nombreux procédés qui perturbent la chronologie traditionnelle : anticipations, rétrospections, variété des points de vue, inversions chronologiques, etc.). L’auteur du roman nouveau peut donner l’impression au lecteur que ce qu’il écrit n’est qu’un roman et que les personnages ne sont que des voix de papier.


    C) Les différentes catégories du roman nouveau

    1) Origine de la réaction

    Dès la fin du dix-neuvième siècle, on parle de crise à propos du roman. La question essentielle tourne autour du mot « réalisme ». Il sera reproché aux écrivains traditionnels non pas tellement d’être réalistes mais plutôt d’utiliser des techniques artificielles pour concourir à donner au lecteur une vision réaliste du monde qui nous entoure. Ce n’est donc pas tant le réalisme qu’une certaine conception de la réalité qui est visée : la manière de traiter le réel sera souvent donc la cible de plusieurs écrivains qui contestent le roman traditionnel.

    Marcel Proust, par exemple, s’en prendra à ce misérable « relevé de lignes et surfaces » en parlant du roman réaliste (il critique notamment les frères Goncourt, ses contemporains) : pour Marcel Proust la vraie vie réside dans des impressions profondément enfouies au sein de la mémoire et dont le romancier doit se faire le traducteur fidèle.
    Gide réagira également contre le réalisme avec son roman les Faux-Monnayeurs. Dans ce roman qui offre de superbes mises en abyme, Gide essayera, par des moyens plus ou moins originaux, de décrire la vaine tentative d’un romancier (Edouard) pour enserrer dans une oeuvre la réalité telle qu’il la vit. Gide forçait le lecteur à s’interroger sur le roman dont il mettait en doute les moyens et la fin.
    D’autres écrivains comme Valéry, Breton et Sartre réagiront également au début du 20e siècle


    2) Quelques catégories du roman nouveau

    • Certains auteurs vont écrire des romans où ils prétendent, par un traitement nouveau de la description, du récit, du personnage et du style, exprimer une idée nouvelle de la société, du monde et du moi. C’est la veine du roman existentialiste (La Nausée de Sartre, l’Étranger de Camus).

    • D’autres écrivains nous font pénétrer dans un autre univers (à la fois angoissant et séduisant) par la magie des mots (Boris Vian, Julien Gracq, André Pieyre de Mandiargues).

    • Quelques écrivains, tout en restant fidèles au quotidien le plus quotidien, nous introduisent dans une autre psychologie (ambiguïté des sentiments, thème du temps et de la mémoire...) : Jean Cayrol, Marguerite Duras...

    • Plusieurs écrivains travailleront davantage le langage et le considéreront parfois comme un laboratoire de recherche. Pensons d’abord au groupe Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle) dont certains représentants comme Raymond Queneau, Jacques Roubaud et George Perec (dont La disparition qui est un roman sans la voyelle « e » et Les revenentes qui n’utilise que la voyelle « e »). Nous songeons aussi à Philippe Sollers dont certains textes sont écrits sans ponctuation.

    • Le Nouveau Roman (autour d’Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, Robert Pinget, Claude Ollier, Claude Simon, Nathalie Sarraute) offrira une des plus belles et des plus audacieuses aventures littéraires.

    • Plus proches de nous certains écrivains utilisent fréquemment la parodie et des structures parfois très originales. Pensons à Jean Échenoz, Jean-Philippe Toussaint, Tanguy Viel, etc.


    D) D’une manière schématisée

    1) Roman traditionnel

    • Le roman traditionnel se développe surtout au XVIIe siècle, XVIIIe siècle, XIXe siècle, XXe siècle (on peut noter quelques exceptions comme Jacques le Fataliste de Diderot qui offre un roman nouveau au 18e siècle !)

    • Le roman traditionnel est un littérature de représentativité, c’est-à-dire une littérature qui s’efforce de donner au moyen de l’écriture l’illusion de la réalité.

    • Le but essentiel du roman traditionnel est de se rapprocher du réel (l’écriture n’est qu’un moyen pour arriver à ce but).

    • Le roman traditionnel veut rendre le personnage vraisemblable.

    • La FICTION du roman traditionnel est souvent réaliste.

    • La NARRATION du roman traditionnel offre les éléments suivants : un écriture, des procédés utilisés pour « faire vrai » même si l’écriture, le style sont très beaux (cf. Stendhal, Flaubert, Balzac... ). Citons quelques procédés : attributs nombreux pour le personnage, descriptions fouillées et surtout présentées d'une manière conventionnelle, portrait traditionnel de haut en bas ou de bas en haut, espace bien précisé, temps chronologique, structure linéaire, etc.


    2) Roman non traditionnel (ou roman nouveau)

    • Le roman non traditionnel se développe surtout à partir du début XXe siècle (surtout à partir d’environ 1950) : il est à noter que la plupart des romans sortis depuis cette date restent néanmoins traditionnels.

    • Le roman non traditionnel veut détruire l’illusion du réel.

    • Dans le roman non traditionnel, l’écriture se remet très souvent en question (elle devient souvent essentielle ; ainsi dans La dentellière de Pascal Lainé on peut, par exemple, lire : « Elle a 24 ans (enfin mettons !) ».

    • Le nom des personnages est parfois inexistant.

    • La FICTION du roman nouveau pas toujours proche du réel (voir L’écume de jours de Boris Vian !).

    • La NARRATION du roman nouveau détruit les procédés utilisés auparavant.


    Conclusion:

    Le critère de base qui permet souvent de distinguer un roman traditionnel d’un roman nouveau est lié à la narration (manière de raconter, écriture, langage, structure particulière...). Le roman non traditionnel offre souvent une écriture originale. La preuve ? Un roman de science-fiction est souvent traditionnel dans la mesure où il offre une narration qui ne surprend guère (le seul critère d’un fiction plus ou moins originale ne suffit donc pas) !


    E) D’une manière plus approfondie, le roman nouveau peut offrir les caractéristiques suivantes


    Je rappelle que toutes les caractéristiques énoncées ci-après ne sont pas nécessairement rassemblées dans chaque roman nouveau. Le plus souvent celui-ci offre quelques-unes de ces caractéristiques. En outre la présence de l’une de ces caractéristiques dans un roman n’est pas toujours une condition suffisante pour cataloguer le roman en question de roman nouveau. Il convient donc d’éviter les généralisations abusives !

    1) Le récit n’est pas linéaire. Il n’offre pas une suite logique d’événements venant à la suite d’une situation initiale bien déterminée et précédant une situation finale présentant ou non la résolution des problèmes. La fin du roman peut être ouverte, laissant au lecteur la possibilité d’imaginer la suite.

    2) Le personnage n’offre pas une psychologie fouillée comme dans le roman traditionnel. Cette psychologie peut même être floue dans la mesure où le personnage est un être tellement complexe qu’il ne peut être défini clairement. Parfois même la psychologie est absente laissant plutôt la place à des actions révélant à elles seules le caractère du personnage.
    Les procédés descriptifs qui concernent le personnage s’éloignent du portrait traditionnel. En effet le personnage traditionnel a de nombreux attributs (nom, âge, un physique et un langage particuliers, une psychologie déterminée, un passé...) qui sont parfois absents dans le roman nouveau. En outre les techniques du portrait traditionnel (décrire un personnage de bas en haut ou de haut en bas, etc.), dans la mesure où l’on peut découvrir des portraits dans le roman nouveau en question, ne sont plus vraiment respectées.

    3) Le roman nouveau est la plupart du temps non engagé. Le roman nouveau n’a pas, d’une manière générale, pour but de faire une étude de la société ou de défendre une cause particulière. Les options idéologiques de l’auteur ou des personnages sont souvent floues ou absentes.

    4) Sur le plan spatial, les lieux ne sont pas parfois clairement précisés. L’action peut se dérouler n’importe où. Le but étant parfois de développer une portée symbolique : la fiction est tellement universelle qu’elle peut se dérouler dans tous les lieux à la fois.

    5) Sur le plan du langage, des nouveautés sont parfois apportées. Songeons, par exemple, aux romans de Boris Vian ou Raymond Queneau qui n’hésitent pas à jouer avec le langage (néologismes, déformations de mots, écriture phonétique, mélange des niveaux de langue, métaphores décalées, etc.).

    6) Sur le plan thématique, la richesse symbolique des romans nouveaux est parfois plus complexe que dans le roman traditionnel. Les symboles y sont parfois très nombreux et pas toujours traduisibles immédiatement.

    7) Sur le plan temporel, nous pouvons observer des ruptures observables à travers les rétrospections, les anticipations, etc. La logique chronologique est donc absente, puisque les temps peuvent être bousculés.

    8) Sur le plan structural, nous découvrons parfois un désordre volontaire. Tel chapitre ne suit pas nécessairement le précédent sur le plan temporel ou logique. De plus des répétitions, toujours volontaires, peuvent être décelées : répétition de mots, de phrases, de thèmes...

    9) Le roman nouveau offre souvent une multiplicité de sens. Ceux-ci sont tellement nombreux que, dans certains cas, il est impossible de décider ou non de la véracité d’un fait, d’une idée, etc... Dans un certain sens, on peut dire, pour employer la terminologie de Barthes, que le roman nouveau est à la fois pluriel et scriptible. Pluriel, car il offre de nombreux sens. Scriptible, car le lecteur peut, d’une certaine façon, le réécrire à son tour c’est-à-dire lui apporter des sens nouveaux auxquels le romancier n’a peut-être pas pensé.

    10) Sur le plan du point de vue, l’on observe parfois dans le roman nouveau des variations de perspective : narrateurs multiples, remise en question du narrateur omniscient, clin d’oeil au lecteur, narrateur totalement neutre qui n’interprète jamais le comportement ou la psychologie de ses personnages, alternance entre les visions limitée (narrateur qui fait partie de la fiction : sa vision est donc limitée à ce qu’il voit, entend et apprend) et illimitée (narrateur qui ne fait pas partie de la fiction et qui domine ses personnages comme un dieu), etc.

    11) Dans le roman nouveau, le lecteur est davantage mis à contribution puisqu’il devient le second créateur de l’oeuvre ! Le lecteur est moins un consommateur passif qu’un être actif, obligé très souvent d’écrire, à son tour, le livre afin d’apporter sa vision personnelle parfois fort différente de celle d’un autre lecteur du même livre !



  • Emilio Danero

    À l'aube du 20e siècle est apparu un des plus grands mouvements artistiques dont l'article ci-après se propose de retracer, dans les grandes lignes, les constituants principaux.



    1) Introduction

    Après l’existence de poètes symbolistes comme Rimbaud et Mallarmé, il est devenu quasiment impossible de faire marche arrière. Les écrivains au début du 20e siècle perçoivent un profond besoin de renouvellement et d’approfondissement de la connaissance. L’art est devenu une recherche fondamentale.

    De nombreux poètes souhaitent tout d’abord mieux connaître l’être intérieur, le fonctionnement de l’esprit humain, les zones obscures du psychisme avec tous les désirs, angoisses profondes et fantasmes de l’homme.

    Les poètes veulent aussi mieux comprendre les rapports de l’homme avec l’univers qui l’entoure. Comment l’homme peut-il se situer dans un univers qui lui est à la fois offert et refusé à la compréhension totale ? Comment l’homme peut-il mieux saisir une forme de vérité dans le désordre universel ? Telles sont les questions auxquelles le poète aimerait trouver des réponses...

    Enfin les poètes souhaitent mieux approfondir les recherches sur le langage qui est le matériau essentiel de leur art.


    2) La naissance du surréalisme

    a) Le dadaïsme

    C’est à Munich, en 1916, que le mouvement Dada surgit sous l’impulsion de Tristan Tzara, un jeune roumain. Ce mouvement, qui souhaite détruire systématiquement toutes les valeurs, se fait remarquer par ses oeuvres décalées, tapageuses et spectaculaires. Le dadaïsme gagnera la France où il sera accueilli par André Breton et ses amis Paul Éluard, Louis Aragon, Benjamin Péret. De nombreux autres artistes (Max Ernst, Miro, André Masson, etc) vont se joindre à ces derniers pour accomplir un grand travail révolutionnaire dénonçant les grandes idéologies traditionnelles.

    Aux dadaïstes succèderont donc les surréalistes qui chercheront, à la lumière de Rimbaud, Freud et Lautréamont, à créer une nouvelle approche de la poésie et de la peinture à partir d’une redéfinition de l’art.

    Notons que le surréalisme n’est pas né de Dada. En effet le surréalisme était déjà né en France avant l’arrivée de Tzara à Paris en 1920. Mais l’on peut affirmer que les surréalistes se sont nourris de l’esprit de révolte des dadaïstes.


    b) La Première Guerre mondiale

    Les Surréalistes sont les enfants de la Première Guerre mondiale, un des plus grands massacres de l’histoire. Dans ce contexte, les intellectuels portent un jugement sévère sur cet événement tragique qui sera une des causes de l’esprit de révolte absolu des surréalistes.


    c) La psychanalyse

    Il faut savoir qu’au début du XXe siècle, les travaux de Freud (L’Introduction à la psychanalyse date de 1916) permettent de découvrir qu’une partie de la personnalité de l’homme échappe à la conscience. Cette partie cachée (l’inconscient) permet d’expliquer en partie le conscient.

    Les rêves, les actes manqués, les lapsus, certaines erreurs, les instincts de la sexualité sont dans plusieurs cas des symptômes révélateurs de souvenirs, de désirs, d’impulsions emmagasinés en nous à notre insu. On peut dire que c’est le surréalisme qui a contribué à diffuser, en France, la théorie freudienne.


    3) La définition du mouvement

    Le mouvement fut fondé en 1924 par André Breton qui rédigea le Manifeste du Surréalisme, ouvrage dans lequel André Breton donna la définition du Surréalisme : « Automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » Cinq ans plus tard, Breton donnera une nouvelle définition du surréalisme qui me semble très intéressante dans la mesure où elle cerne l’essentiel de la démarche surréaliste qui est de tenter de concilier l’inconciliable, d’abolir toutes les contradictions : « Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. Or, c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point. »

    Les poètes surréalistes se donnent pour tâche de partir à la recherche de ces parties cachés au fond de l’homme, de cette sur-réalité avant que celle-ci ne soit perçue et organisée par la raison. Trouver un langage pour exprimer l’inexprimé, tel est leur désir. À ce propos, les ratures ont un sens pour les surréalistes (elles risquent en effet de révéler une retouche mensongère d’une écriture spontanée).

    Les surréalistes avaient des prédécesseurs comme Rimbaud avec Les Iluminations (1886), Lautréamont avec les Chants de Maldoror (1868), Gérard de Nerval avec Aurélia (1855) et Alfred Jarry avec sa pièce de théâtre Ubu Roi (1888).

    En conclusion, le surréalisme est devenu le mouvement le plus important du 20e siècle. Il s’est étendu à tous les arts et a gagné toutes les cultures européennes. Il est essentiellement une révolte, une tentative de désordre pour renverser les courants traditionnel de l’art, de la morale et de la société. Mais c’est aussi une tentative de reconstruction afin de donner à la pensée des statuts nouveaux.

    « Le mouvement surréaliste, bien entendu, n’a pas changé la vie. Mais il a libéré l’écriture, ouvert la voie à la poésie de l’insolite, donné au rêve humain sa place centrale dans l’oeuvre d’art, et permis à la littérature de se faire explosion de langage. » (Bruno Hongre)


    4) Le langage et la thématique surréalistes

    a) Le langage

    Les surréalistes mettront au point une nouvelle technique qui est l’écriture automatique. Celle-ci consiste à écrire tellement rapidement que la raison et les idées préconçues n’ont pas le temps d’exercer leur contrôle. En d’autres termes il s’agit d’écrire un texte sous la dictée de l’inconscient. Le premier texte issu de cette méthode, Les Champs magnétiques de 1919, a été rédigé tour à tour par André Breton et Philippe Soupault. On voit donc que l’artiste devient ainsi le véhicule d’images qui proviennent du plus profond de son psychisme.

    Les surréalistes veulent écrire sans sujet préconçu, sans contrôle logique en supprimant les barrières de l’esthétique conventionnelle et de la morale. Ils aiment donner un sens à n’importe quelle rencontre entre les thèmes ou les mots. Ceci est à mettre en rapport avec ce fameux « hasard objectif » des surréalistes. Le hasard, lorsqu’il survient, ne paraît pas fortuit : il semble signifier quelque chose. Ce hasard signifie quelque chose. Breton pressentait, par exemple, que ses déplacements et ses arrêts, ses visions et ses rencontres communiquaient avec les zones obscures de son inconscient.

    Le Cadavre exquis est le plus célèbre des jeux surréalistes. Pratiqué à partir de 1925, ce jeu consiste à composer des poèmes ou des dessins à plusieurs, chacun inscrivant un mot ou un motif sur un papier plié, à l’insu des autres participants. Les œuvres ainsi obtenues présentent des rapprochements inattendus, comme la phrase « le cadavre exquis boira le vin nouveau », à laquelle le jeu doit son nom.

    L’image surréaliste est un rapprochement de deux réalités sans rapport logique. En cela les poètes surréalistes s’inspirent de certains écrivains symbolistes du 19e comme Rimbaud et Lautréamont, mais en allant encore plus loin sur le plan de cette recherche. Pensons notamment à deux titres de recueils de Breton : Poisson soluble et Le Revolver à cheveux blancs !

    Avant les surréalistes, une grande partie de l’art se fondait sur la logique des associations et le souci d’une certaine continuité. Avec les surréalistes nous plongeons dans l’insolite et souvent le fragmentaire.


    b) La thématique

    • D’une façon générale

    Il faut savoir que les surréalistes ont toujours été tiraillés entre les recherches sur le langage (et l’esprit) d’une part et la révolution d’autre part. Ils rêvaient d’une transfomation radicale de la société comme le souhaitait Marx (d’où le fait que plusieurs écrivains surréalistes furent communistes). Mais cette attirance pour le communisme fut parfois sujette à caution par certains écrivains surréalistes eux-mêmes. En effet Marx axait l’esprit de révolution sur la société sans classes et la notion d’un travail dont les fruits seraient justement distribués aux ouvriers. Le rêve des surréalistes, quant à eux, était assez différent : ils souhaitaient mettre l’accent sur la force de l’amour et surtout la liberté intellectuelle. Or, on le sait, les communistes n’avaient pas réellement développé cette liberté intellectuelle dans la mesure où, dans le régime communiste, marqué par une grande étroitesse d’esprit, ceux qui ne pensaient pas comme les responsables politiques étaient enfermés voire exécutés ! Ces différences de conception sur le sens du mot « révolution » ont, en conséquence, créé des tensions entre les surréalistes qui étaient communistes et ceux qui ne l’étaient point. Ainsi, par exemple, Antonin Artaud et Philippe Soupault, qui refusaient l’obédience du surréalisme à un parti politique, furent exclus du mouvement surréaliste. Quant à André Breton, il se libérera du communisme plus tard. Louis Aragon, par contre, restera fidèle au parti jusqu’à la fin de ses jours. Tout ceci, malgré les dissensions évoquées, mesure la volonté d’un engagement des surréalistes (nombreux seront ceux qui participèrent d’ailleurs à la Résistance sous l’Occupation) : ils souhaitaient agir pour libérer l’homme de toutes ses chaînes.

    Les surréalistes seront toujours en quête d’une vérité fondamentale en dehors de la raison, de la morale, de la logique. Le poète surréaliste est traversé par le rêve et le fantasme : il explore le monde de l’imagination qui est un univers sans limite, sans interdit, sans frontière. Un univers où s’expriment en toute franchise les désirs de l’homme (le poète aime dévoiler tout ce qui en l’homme paraît caché).


    • D’une façon particulière

    La poésie surréaliste explore l’irrationnel en assurant à l’esprit une totale liberté avec un humour (souvent noir) et une folie parfois fortement développés.

    La thématique surréaliste s’opposera à des valeurs jugées conventionnelles comme Dieu, la notion de patrie, la famille, etc. Les surréalistes attendent la vraie vie, une vie qui serait traversée par une immense espérance qui est l’espérance d’aimer (voir l’ouvrage de Breton intitulé L’amour fou).

    Le surréaliste veut créer un monde nouveau, transfiguré par la puissance de l’amour, par la divinisation de la femme et la célébration d’une sexualité libre.

    Ils recherchent la beauté bouleversante et non la beauté esthétisante, d’où leur grande passion pour la femme. La femme aimée est bouleversante. Elle peut être, comme on l’a dit plus haut, considérée comme le substitut de Dieu. Les thèmes de l’amour fou et de l’exaltation de la femme relèvent d’ailleurs d’une attitude provocatrice à l’égard de la cilisation des tabous et notamment de la civilisation judéo-chrétienne où la femme fut souvent réduite à son rôle de vierge, d’épouse, de mère, soumise à Dieu, au mari, à la famille, bonne reproductrice... une civilisation qui ne considérait pas toujours la femme en tant que femme avec ses particularités propres.

    Les surréalistes seront fascinés par le cinéma qui privilégie souvent la femme (Luis Bunuel fut un grand cinéaste surréaliste), la folie qui est marginale, les civilisations primitives... par tout ce qui est plus ouvert sur les territoires de l’inconscient.


    5) Deux textes

    a) Union libre, superbe poème d’André Breton (extrait de Clair de terre, 1931)

    Ma femme à la chevelure de feu de bois
    Aux pensées d'éclairs de chaleur
    À la taille de sablier
    Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
    Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur
    Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche
    À la langue d'ambre et de verre frottés
    Ma femme à la langue d'hostie poignardée
    À la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
    À la langue de pierre incroyable
    Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant
    Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle
    Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre
    Et de buée aux vitres
    Ma femme aux épaules de champagne
    Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
    Ma femme aux poignets d'allumettes
    Ma femme aux doigts de hasard et d'as de coeur
    Aux doigts de foin coupé
    Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
    De nuit de la Saint-Jean
    De troène et de nid de scalares
    Aux bras d'écume de mer et d'écluse
    Et de mélange du blé et du moulin
    Ma femme aux jambes de fusée
    Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir
    Ma femme aux mollets de moelle de sureau
    Ma femme aux pieds d'initiales
    Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
    Ma femme au cou d'orge imperlé
    Ma femme à la gorge de Val d'or
    De rendez-vous dans le lit même du torrent
    Aux seins de nuit
    Ma femme aux seins de taupinière marine
    Ma femme aux seins de creuset du rubis
    Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
    Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours
    Au ventre de griffe géante
    Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical
    Au dos de vif-argent
    Au dos de lumière
    A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
    Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire
    Ma femme aux hanches de nacelle
    Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
    Et de tiges de plumes de paon blanc
    De balance insensible
    Ma femme aux fesses de grès et d'amiante
    Ma femme aux fesses de dos de cygne
    Ma femme aux fesses de printemps
    Au sexe de glaïeul
    Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque
    Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens
    Ma femme au sexe de miroir
    Ma femme aux yeux pleins de larmes
    Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée
    Ma femme aux yeux de savane
    Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison
    Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
    Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu



    b) Un très beau poème (extrait de Poésie ininterrompue, 1946) de Paul Éluard. Poème exprimant l’importance accordée par les surréalistes à l’amour qui est sans doute la plus belle réponse que l’homme puisse opposer aux barbaries du monde.

    De l'océan à la source
    De la montagne à la plaine
    Court le fantôme de la vie
    L'ombre sordide de la mort
    Mais entre nous
    Une aube naît de chair ardente
    Et bien précise
    Qui remet la terre en état
    Nous avançons d'un pas tranquille
    Et la nature nous salue
    Le jour incarne nos couleurs
    Le feu nos yeux et la mer notre union
    Et tous les vivants nous ressemblent
    Tous les vivants que nous aimons

    Les autres sont imaginaires
    Faux et cernés de leur néant
    Mais il nous faut lutter contre eux
    Ils vivent à coups de poignard
    Ils parlent comme un meuble craque
    Leurs lèvres tremblent de plaisir
    À l'écho de cloches de plomb
    À la mutité d'un or noir

    Un seul cœur pas de cœur
    Un seul cœur tous les cœurs
    Et les corps chaque étoile
    Dans un ciel plein d'étoiles
    Dans la carrière en mouvement
    De la lumière et des regards
    Notre poids brillant sur terre
    Patine de la volupté

    À chanter des plages humaines
    Pour toi la vivante que j'aime
    Et pour tous ceux que nous aimons
    Qui n'ont envie que de s'aimer
    Je finirai bien par barrer la route
    Au flot des rêves imposés
    Je finirai bien par me retrouver
    Nous prendrons possession du monde







  • Emilio Danero

    Voici le premier article de la série des trois articles consacrés aux mouvements littéraires du dix-neuvième siècle. Cet article n’a bien sûr pas la prétention d’être exhaustif. Il offre seulement quelques balises permettant de mieux comprendre ce grand mouvement artistique.


    1) Contexte général

    Le mot « romantisme » vient du mot « roman » qui désignait, au Moyen Âge, des oeuvres littéraires (en vers) racontant des oeuvres fictives en langue romane.

    Le romantisme français du 19e siècle (1800-1850) est influencé par la littérature allemande (Goethe auteur de « Faust », Schiller, Novalis, Hölderlin...), anglaise (le dramaturge Shakespeare, le poète Lord Byron, le romancier Walter Scott qui est l’auteur du roman bien connu « Ivanhoé ») et suisse (Jean-Jacques Rousseau est un précurseur du romantisme ; Madame de Stael est une initiatrice du romantisme).

    Le romantisme s’oppose :
    - à la littérature classique du 17e siècle dont les contraintes sont très importantes (la raison qui était dominante au 17e siècle imposait des limites à l’imagination ).
    - au siècle des Lumières (18e siècle) dont les philosophes étaient trop rationalistes.


    2) Caractéristiques principales

    • Mise en valeur de la sensibilité (mise en évidence du « moi » et lyrisme à travers le sentiment amoureux, familial et religieux).

    Communion
    - avec la nature (les poètes romantiques insistent sur l’immensité, l’infini, le mouvement, le désordre à travers l’évocation de paysages tourmentés et mélancoliques : la montagne, la mer, les scènes d’orage et de tempête, l’automne qui symbolise souvent le déclin... ; la nature est souvent considérée comme une consolatrice et un refuge à travers les malheurs personnels et contre la bêtise de le société ; la nature peut, par sa splendeur, symboliser la puissance divine).
    - avec l’humanité (l’insatisfaction de l’être romantique le pousse parfois à agir pour transformer le monde et contribuer ainsi à l’amélioration du sort de l’humanité).

    Libération de l’art
    - Le romantisme désire se libérer des contraintes du classicisme du 17e siècle (ainsi le drame romantique rejette les règles de la tragédie classique : unité de temps, de lieu et d’action) .
    - La poésie est plus libérée sur le plan formel : la métrique accentuelle est plus variée, comparaisons et métaphores plus originales (nombreuses personnifications), enjambements plus nombreux...

    • L’âme romantique offre les aspects suivants qui définissent le « mal du siècle » :
    - inquiétude, ennui, analyse de soi-même, incapacité d’agir, égoïsme, complaisance à la tristesse et à la mélancolie, sentiment de malaise et d’insatisfaction...
    - l’être romantique est un être divers, complexe, révolté contre le monde et la société, en proie au déséquilibre constant. Il a le sentiment de ne pas avoir sa place dans ce monde et que son action est vouée à l’impuissance.

    • L’amour est un thème fondamental (un principe divin) à la fois heureux et contrarié (cf. la solitude et la mélancolie qui sont engendrés par le sentiment trahi).

    • Le héros romantique se sent un être à part, différent de ses contemporains. Il se sent isolé dans la société. Il agit parfois avec démesure, aime parfois sans frein, s’agite, mais se perçoit rapidement comme étant l’objet d’une fatalité malheureuse.

    Le domaine de l’imagination est étendu :
    - Dans l’espace (intérêt pour les pays étrangers) : le Nouveau Monde, les pays orientaux, les pays méditerranéens, les pays du Nord comme l’Allemagne...)
    - Dans le temps (ils s’intéressent, par exemple, au Moyen Âge)

    • Thème du temps (notre vie est éphémère et le temps fuit) lié à ceux du rêve et du souvenir.

    • Goût pour les genres autobiographiques (récits personnels, mémoires, journaux intimes).


    3) Quelques représentants du romantisme

    En littérature : Lamartine, Musset, Vigny, Hugo, Chateaubriand, Stendhal, Benjamin Constant, Sénancour...
    En peinture : Géricault, Delacroix, Turner, Friedrich...
    En musique : Chopin , Liszt, Berlioz, Schubert, Schumann, Brahms...

                                                                            Illustration : Emilio Danero

  • Gustave Courbet 
    Voici le deuxième article consacré au deuxième grand mouvement littéraire du dix-neuvième siècle, à savoir le réalisme. Encore une fois cet article n’offre pas une vue exhaustive sur le sujet, mais présente quelques repères permettant de mieux comprendre les idées essentielles de ce mouvement important.


    1) Dans le domaine du roman

    Les romanciers réalistes ( Balzac, Flaubert, Stendhal qui est à la fois romantique et réaliste, Maupassant qui a également écrit des nouvelles fantastiques...) ont pour objectif de représenter le monde d’une manière impartiale et complète (ils ont le souci de l’observation et recherchent le fait vrai). Ils aiment photographier le réel !
    Chez Balzac, l’action est située dans le temps et l’espace avec précision. Les êtres sont, pour lui, influencés par leur milieu de vie et le décor de leur existence est créé à l’image de leur caractère (un bon exemple est la pension de Madame Vauquer dans Le Père Goriot : l’endroit, qui est repoussant, est à l’image de la maîtresse des lieux !).
    Certains écrivains réalistes réaliseront des enquêtes afin de restituer la réalité dans toute son exactitude. Pensons notamment à la description de l’empoisonnement de l’héroïne dans Madame Bovary de Flaubert. Ce dernier refuse même de laisser transparaître ses sentiments personnels lorsqu’il décrit ses personnages.
    Le réalisme poussé à l’extrême s’appellera le naturalisme que l’on trouve chez Émile Zola dont les oeuvres s’appuient sur une documentation abondante.


    2) Dans le domaine de la poésie

    A) Théophile Gautier (1811-1872)

    Il a été l’animateur du mouvement de l’art pour l’art dont les idées essentielles sont les suivantes :

    1) L’art est désintéressé (il n’a aucun but utile) : il est à lui-même sa propre fin. « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid » dira Théophile Gautier. L’art doit demeurer indépendant de la morale et de la politique. Le mouvement de l’art pour l’art refuse donc la poésie sentimentale, la poésie philosophique qui transmettrait des idées ou une morale et la poésie politique qui se soucie du progrès social.

    2) L’artiste ne connaît qu’un culte : celui de la beauté (on peut donc observer un lien avec arts plastiques). L’artiste a un souci de la belle forme qui doit être impeccable.

    3) Pour conquérir la beauté l’artiste ne doit rien négliger, ne rien laisser au hasard : le travail de la forme et les recherches techniques sont donc essentielles.
    Le mouvement de l’art pour l’art ouvre la voie à la poésie du Parnasse (Leconte de Lisle).


    B) Leconte de Lisle (1818-1894)

    Il est le chef de file du groupe des poètes parnassiens (le Parnasse est une montagne grecque qui, consacrée à Apollon et aux muses, symbolisa la poésie).
    Les idées essentielles des poètes parnassiens sont les suivantes :

    1) Impersonnalité :

    • Leconte de Lisle estime que « le thème personnel et ses variations trop répétées ont épuisé l’attention » (en cela les poètes parnassiens s’opposent au romantisme).

    • Les parnassiens s’opposent aux confidences trop directes (le poète ne doit pas chercher à exprimer ses sentiments intimes).
    Il faut cependant souligner que des sentiments profonds apparaissent (pensons notamment à la nostalgie du pays natal chez Leconte de Lisle qui est originaire de l’île de la Réunion, etc.). Il s’agit donc d’une impersonnalité et non d’une impassibilité.


    2) Union de l’art et de la science

    C’est une poésie qui revient vers le passé (les parnassiens souhaitent faire revivre le passé par la documentation (il ne s’agit donc pas de l’imagination et de la couleur locale comme chez les romantiques). Par exemple plusieurs histoires anciennes sont évoquées comme celles de la Grèce, de la Scandinavie, etc.


    3) Culte de la beauté

    • L’art doit réaliser la Beauté (Leconte de Lisle est, sur ce point, plus intransigeant que Gautier !). L’art est un luxe intellectuel, réservé à une élite, indépendant de la vérité, de l’utilité, de la morale, et n’ayant qu’un seul objet : le Beau. Cette mystique de la Beauté deviendra l’inspiration commune des jeunes poètes Parnassiens. C'est Leconte de Lisle, leur maître, qui leur donna des conseils sur les plans de la langue et de la prosodie pour atteindre à une « facture parfaite sans laquelle il n’y a rien ».

    • Les parnassiens s’opposent à l’improvisation et défendent la valeur d’une inspiration contrôlée. Leurs vers seront remaniés jusqu’au sentiment d’une exécution parfaite.



    Conclusion

    En conclusion le réalisme se révolte contre le romantisme
    Ce dernier courant mettait en avant le goût du rêve, du mystère et du fantastique (les écarts de l’imagination étaient fréquents chez les écrivains romantiques). Il ne faut pas oublier que le romantisme déformait parfois la vérité pour des raisons esthétiques.
    Le réalisme peut être mis en relation avec le positivisme (courant philosophique du 19e siècle) qui professe le respect des faits matériels et étudie les hommes d’après leur comportement et leur milieu (le positivisme était opposé au rêve, à l’imagination, à la métaphysique).
    Le domaine d’ élection du romantisme est le roman où l’on peut observer un grand réalisme de l’observation.
    Sur le plan pictural, on peut citer Gustave Courbet qui fut un grand peintre réaliste.







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