• Le courrier fictif

    Emilio DaneroLe courrier fictif

    Imaginez des personnages de fiction qui se rebellent contre leur créateur pour se plaindre du statut qui leur a été octroyé ! Je vous propose un exercice de créativité très intéressant à réaliser en classe ou dans un cadre extérieur à l’univers scolaire. Il permet de développer l’imagination, l’humour et vos qualités d’écriture. Le principe de base est une lettre fictive écrite par un héros et adressé à son auteur. Cet exercice est présenté dans le cadre de journées de formation animées par Bruno Coppens et Bernard Marlière. Vous trouverez cet exercice, parmi d’autres, dans l’ouvrage de Bruno Coppens intitulé «L’atelier des mots» paru aux Éditions Casterman.


    Des personnages de fiction se rebellent contre l’auteur qui les a créés ! Ces personnages ne sont pas satisfaits de leur condition et vont donc lui formuler certains reproches.
    Pour réaliser l’exercice, qui permet de rentrer dans la peau de l’un de ses personnages favoris, il est préférable de partir de réalités connues des jeunes.
    Le projet est d’écrire une lettre : une lettre écrite par un héros et adressée à son auteur.
    Un autre jeune, jouant le rôle de l’auteur, pourra, à son tour, répondre à la lettre de son héros.
    Cet exercice peut se réaliser en plusieurs étapes :

    Première étape
    1) Choisir un personnage (de conte de fée, de bande dessinée, de film de science-fiction, de série télévisée, de roman ...). Ce personnage peut être le héros, un personnage secondaire, le méchant de l’histoire...
    2) Il est conseillé d’éviter les chanteurs, puisque l’on ne connaît pas bien leur vie.

    Exemples : Obélix, Indiana Jones, Capitaine Haddock, le petit prince, Omer Simpson’s, Cendrillon...


    Deuxième étape
    1) Faire une description physique et psychologique (qualités et défauts) du héros.

    Exemple
    - pour Cendrillon : elle est soumise, belle, appliquée, triste...
    - pour Omer Simpson’s : il est lâche, paresseux, distrait et passe son temps devant la télévision.

    2) Citer trois ou quatre problèmes auxquels est confronté le héros.

    Exemple pour Cendrillon :
    - Elle a perdu sa mère
    - Elle est dominée par sa belle-mère et ses demi-soeurs
    - Elle n’a pas de quoi s’habiller pour aller au bal
    - Elle doit respecter les termes d’un contrat
    - Elle doit supporter son surnom qui est Cucendron

    3) Relever les tics de langage et gestuels du héros.


    Troisième étape
    Imaginer ce que le héros souhaiterait modifier pour les prochaines aventures (un nain qui voudrait être grand, une héroïne très jolie qui veut être laide, un enfant qui a connu la pauveté et qui souhaite une autre vie...).

    Exemple:
    • Pour Obélix : il aimerait suivre un régime pour plaire à Falbala !
    • Pour Omer Simpson’s : Il aimerait regarder des programmes culturels (la chaîne ARTE par exemple) et avoir des enfants plus polis !
    • Pour Cendrillon :
    - Elle voudrait être méchante pour se venger !
    - Elle en a assez de faire tout le travail et demande une machine à laver !
    - Elle aimerait que son amant soit laid !


    Quatrième étape
    Début de l’écriture de la lettre de réclamation : il fauda garder le langage propre du personnage choisi (garder ses mots et ses expressions les plus courants).


    Exemple de lettre du Capitaine Haddock :
    Monsieur Hergé,

    Tonnerre de Brest ! La coupe est pleine ! J’en ai assez, saperlipopette, de prononcer des jurons à tout bout de champ. Mille milliards de mille sabords, qu’est-ce que je vous ai fait pour que vous m’écriviez des dialogues de marin d’eau douce ! Quand je vois comment les dialogues de Blake et Mortimer sont écrits, je me dis que j’aurais préféré rencontrer ce Monsieur Jacobs !

                                            CAPITAINE HADDOCK


    Cinquième étape
    Imaginer la forme de la lettre sur le plan visuel : le papier, la forme du papier...



    Variantes de l’exercice :
    1) Un héros écrit une lettre à un autre héros par solidarité !
    2) Un héros écrit une carte-postale (l’image doit alors correspondre au contenu de la lettre).
    3) Un héros écrit un message sur répondeur.
    4) Un héros écrit une lettre à un auteur qui se trouve dans une autre classe.




    Voici, pour terminer, un exemple de lettre de réclamation écrite par Bernadette Jamar et moi-même lors d’une journée de formation :


    Monsieur Perrault,

            Je vous remercie de m’avoir créée « il y a bien longtemps », mais j’avoue que ma renommée commence à me peser et c’est cette lassitude qui m’amène à vous adresser cette missive.
            Tout d’abord, vous vous êtes complu à me charger de toutes les tâches ménagères pour la belle-mère et mes deux demi-sœurs. Nous sommes à présent au XXIème siècle ; ne pourriez-vous, s’il vous plaît, moderniser l’équipement de notre demeure par un équipement électroménager adéquat afin de me décharger quelque peu de ces viles besognes ? Un aspirateur, une lessiveuse et un lave-vaisselle ne me sembleraient guère superflus.
            A l’heure de la libération de la femme, je ne tiens pas davantage à demeurer la demoiselle soumise imaginée jadis : cette personne aboulique et incapable de réagir à sa condition me hérisse et je ne compte pas éternellement me soumettre au despotisme d’une marâtre ou aux caprices de deux péronnelles. Il me vient d’ailleurs des velléités de vengeance et je vous saurais gré, plutôt que de me présenter comme la plus douce et la plus magnanime, de me doter d’une once de méchanceté qui me permette d’assouvir cet appétit vindicatif et d’infliger une juste punition à celles qui me dominent depuis des siècles.
            En outre, vous m’avez rendue célèbre par un épisode qu’il serait grand temps de remanier ; j’ai nommé le bal. Pourquoi diable m’y emmener plus d’une fois si c’est pour me frustrer de la fin et ne m’accorder qu’une permission de minuit totalement surannée ? Les jeunes filles d’aujourd’hui sortent bien plus tard et, par ailleurs, ne revêtent plus d’ « habits d’or et d’argent, tout chamarrés de pierreries ». Vous me couvrez de ridicule en m’affublant de cette tenue créée de toutes pièces par une marraine aux goûts étranges venus d’ailleurs. Il me plaît d’ajouter à cette requête un détail se rapportant aux chaussures, ces fameuses pantoufles de vair. Un tel mot a prêté à toutes sortes de dérives dont la moindre n’est pas de m’avoir fait danser sur … du verre ! Quoi qu’il en soit, dans la tenue en jean dont je rêve pour sortir dans les discothèques actuelles, j’accorderais ma préférence à des chaussures bien plus modernes, lacées si possible, afin que je n’en perde pas une à la sortie.
            Le dénouement de mon histoire, objecteront certains, aurait de quoi compenser tous les désagréments précités. Mais je m’insurge contre la vision stéréotypée que vous m’infligez du bonheur. Est-il vraiment primordial que l’homme que j’aime soit beau ? Ne suis-je, moi-même, qu’une femme-objet appréciable par son seul physique ? Dois-je absolument, à l’heure de l’union libre, épouser mon prince charmant et surtout, à l’époque de la contraception, avoir beaucoup d’enfants ? Je vous prie d’excuser cette petite infidélité à votre texte original qui ne prévoyait pas cette descendance, mais on m’a tant assimilée à d’autres de vos créatures que j’ai souvent dû subir cette suite imprévue et je revendique le droit à une vie davantage en harmonie avec une liberté longtemps convoitée.
            Vous remerciant de la bienveillante attention que vous voudrez bien accorder à la présente, je vous prie d’agréer, Monsieur Perrault, l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
                                            Kelly
    (puisque je souhaiterais aussi un prénom moins ridicule et plus à la page)




                                         Auteurs : Bruno Coppens, Bernard Marlière et Jean-Pierre Leclercq
                                         Illustration : Emilio Danero